L'Afghanistan et la consolidation de la paix - une approche militaire autoritaire ou une tasse de thé ?

Carmel Crawford, membre et conseillère de Stop Fuelling War (Cessez d'alimenter la guerre), raconte son expérience du terrain concernant l'échec de l'intervention en Afghanistan.

En tant qu’amatrice de thé irlandais, il n'aurait pas été plus facile de briser la glace avec les Afghans. Partager une tasse de thé crée ce moment d'accueil et de convivialité qui ouvre chaque réunion, donnant à chacun·e un moment pour s'installer et observer les autres amateurs ou amatrices de thé. Boire autant de thé m’a rapproché et m’a rendu plus compréhensive de la culture et des enjeux en Afghanistan.

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Les Américains ont construit de hauts murs défensifs, mais ceux-ci ne construisent pas la paix, ils renforcent le pouvoir, la méfiance, la peur et le dédain des un·es envers les autres.
Ce principe fut appliqué en Afghanistan avec la création des PRT, ou équipes de reconstruction provinciales, installées derrière d'énormes murs à l'épreuve des bombes, avec des fils barbelés et des caméras de surveillance, le plus souvent loin des centres de population, avec des règles strictes concernant l'entrée et surtout la sortie de l'enceinte.
Avec le recul, je me demande ce que le manque de confiance des militaires envers les Afghans a réellement permis de réaliser.

Pourtant, l’objectif de cette intervention était de créer les conditions nécessaires à l'épanouissement de la paix. Je dirais qu'ils ne se sont jamais éloignés de la présence fortement militarisée et dominatrice qu'ils avaient initialement créée.

J’ai été observatrice du processus en travaillant pour un certain nombre d'ONG nationales et internationales pendant plusieurs années à partir de 2008.
Au cours de cette expérience ce qui m'a le plus marqué, c'est l’hypothèse (partagée par la communauté internationale) selon laquelle le peuple afghan créerait par magie un pays pacifique alors que tous les leviers du pouvoir et des finances étaient contrôlés de l'extérieur. 

J'ai apprécié le temps que j'ai passé en Afghanistan, à sillonner Kaboul de réunion en réunion, de ministère en ambassade, et occasionnellement dans les bureaux de petites ONG. J'ai aimé observer les interactions de ces buveurs de thé doux, accueillants et généreux. Je me souviens des soirées passées en haute montagne enroulée dans une couverture à contempler le ciel le plus étoilé que je n’avais jamais vu. Je ne peux oublier les fois, trop nombreuses pour être comptées, où mes collègues afghans, médecins, chauffeurs, enseignants, ingénieurs, fonctionnaires et gardiens de nuit, se sont mis en danger pour que je sois en sécurité. Au lieu d'une poignée de main, ma main a appris à aller directement vers mon cœur en guise de salutation.

Bien sûr, je reconnais que ce n'était pas le tableau complet d'un pays encore en guerre : nous ne sortions pas de notre maison d'hôtes hautement sécurisée le matin sans avoir vérifié l'évaluation de la sécurité du jour auprès d'au moins trois sources; nous ne nous rendions pas dans certains quartiers de la ville s'il y avait une alerte pour un ministère ou une ambassade en particulier; nous attendions pour nous aventurer à l'extérieur de Kaboul d'avoir reçu le feu vert de toutes nos sources; nous voyagions dans un minivan qui n'avait pas été contrôlé. Nous nous sommes habillés discrètement avec des vêtements locaux typiques et nous avons laissé le personnel afghan nous guider. La tension était constante oscillant entre fraternité, confiance et méfiance. Depuis notre maison d'hôtes, nous pouvions regarder de l'autre côté de la rivière le char russe rouillé, vestige d'une décennie de guerre antérieure, et nous rappeler que nous, étrangers, ne connaissions pas tout le contexte de la situation que nous pensions gérer.

De manière déconcertante, à chaque rencontre avec les membres d'une force militaire ou d'une autre, nous avons été forcés de nous rendre compte qu'ils avaient à peine fait un seul pas sur le chemin de la confiance. Ces membres nous regardaient avec un certain mépris et nous disaient parfois que nous n'étions que des bienfaiteurs naïfs et trop confiants. Comment pouvions-nous comprendre la situation réelle ? Nous nous faisions avoir alors qu'ils savaient ce qui se passait réellement.

Si une partie des vastes sommes de l'aide financière américaine été attribuée aux Afghan·es (disposant de salaires modestes) travaillant pour des ONG étrangères ou l'ONU, c’était positif, mais ce n’était pas la réalité. L'obtention de frais généraux importants était le prix à gagner pour les ONG à chaque niveau de la pyramide de l'aide. En commençant par exemple, par la très lucrative industrie de l'aide au développement située à Washington DC, et en passant par les différentes tailles, capacités des différentes ONG en jeu. Il arrivait qu’il ne reste que peu ou pas de moyens pour des actions réelles avec le peuple afghan.

Chaque Afghan·e était dépendant de la même manière, attendant que les ONG étrangères reçoivent l'argent pour mettre en œuvre un projet sur le terrain qui devait fonctionner selon toutes les strates d'ONG, ne faisant que nominalement ce que les Afghan·es voulaient ou avaient besoin. J'ai vu à quel point ils et elles ne se sentaient pas concerné·es par le processus, étant à la merci des étranger·es, appelé·es à les conduire, à les nourrir, à prendre des rendez-vous pour elles et eux et à leur expliquer leur vie, mais pas si souvent à s'asseoir et à négocier d'égal·e à égal·e au lieu de mendier à la table.

Comment cela crée-t-il les conditions propices à l'épanouissement de la paix ? 

STOP FUELLING WAR
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114 rue de Vaugirard
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