Pourquoi utiliser un lexique guerrier est contre-productif en ces temps de crise sanitaire mondiale:

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Réflexions personnelles en isolation

Clémence Buchet-Couzy (Assistante du Programme Consolidation de la Paix - QCEA) 

Une des choses qui m’a le plus choquée pendant cette période particulière est la rhétorique guerrière utilisée par de nombreux dirigeants politiques pour parler du Covid-19. Une telle rhétorique semble au mieux déplacée pendant cette crise sanitaire mais elle pourait s’avérer extrêmement dangereuse en excusant l’usage de la violence. Une réponse militaire n’est pas ce dont nous avons besoin. Au contraire, la solidarité qu’on observe à différents niveaux pourrait être le début d’un revirement post-Covid-19, que selon moi les politiciens du monde entier devraient promouvoir et encourager. 

Cette rhétorique guerrière est utilisée pour souligner la gravité de la situation mais également pour rassembler les populations et créer un sentiment d’unité. En tant que citoyenne française cela m’a particulièrement frappée lorsqu’Emmanuel Macron, dans son discours du 16 Mars, a dit “Nous sommes en guerre” au moins sept fois. À chaque fois en accentuant l’aspect dramatique. Mais cette rhétorique est également utilisée dans d’autres pays: aux États-Unis, Donald Trump s’est donné le titre de “président de guerre” 1 et en Italie, le gouvernement a appelé à mettre en place une  “économie de guerre”2 afin de résoudre la situation. 

Je trouve l’utilisation de cette rhétorique particulièrement insensible venant de pays considérés ‘en paix’, étant données les conditions que doivent endurer les populations vivant en zones de conflit. Penser que nous sommes ‘en guerre’ risque de nous faire oublier à quel point nous sommes en réalité privilégiés par rapport à ces populations qui continuent de souffrir des bombardements - qui ne s’arrêteront sans doute pas à cause du Covid-19. C’est d’autant plus choquant quand on sait que des pays comme la Syrie sont touchés par le virus, et que les personnes ne peuvent pas s’isoler comme nous. Comme le disait le porte-parole de la Croix-Rouge en Irak “La distanciation sociale est un privilège”3.

De plus, ce vocabulaire militaire peut s’avérer être assez dangereux en ce qu’il alimente une ambiance déjà assez anxiogène. En faisant référence à cet ‘ennemi invisible’, nous ne faisons qu’accroître notre méfiance de l’autre4. Ce discours peut conduire à d’autant plus de peur et de violence. Depuis le début de l’épidémie, de nombreux crimes et attaques racistes et xénophobes se sont produits5. ‘Atténuer la peur de l’autre’ est un des objectifs centraux du Quaker Council for European Affairs (QCEA). Grâce à son programme sur les droits humains, QCEA cherche à construire de nouveaux récits plus positifs et à réduire les discours de haine, et en ce moment ce travail est plus essentiel que jamais.

De plus, se réferer à la guerre pendant une crise sanitaire publique semble inapproprié puisque l’attirail miliaire est inutile pour résoudre la situation. Je ne remets pas ici en question la contribution de l’armée, d’un grand soutien, en ces temps de crise. Mais en 2019 les dépenses militaires mondiales ont atteint leur hausse la plus conséquente en dix ans (environ 4%)6, et quand je vois les pénuries chroniques de masques et de respirateurs je ne peux m’empêcher de remettre en question la pertinence de telles dépenses. Si on compare ce que l’on peut acheter avec l’argent dépensé dans le matériel militaire cela remet les choses en perspective: pour le prix d’un chasseur-bombardier à capacité nucléaire F-35 vous pouvez acheter environ 2 200 respirateurs7. Nos sociétés sont de plus en plus militarisées et sécurisées, et les gouvernements successifs ont donné la priorité aux budgets militaires au lieu de se préparer pour d’autres menaces comme des pandémies mondiales ou le changement climatique. Cette crise devrait provoquer un changement des priorités budgétaires - il s’agit de repenser la façon dont on perçoit et définit la sécurité en passant de la sécurité ‘par la force’ à la sécurité humaine. Il n’existe pas de définition unique de la sécurité humaine, elle dépasse les interprétations traditionnelles d’une sécurité centrée sur l’État en proposant une approche centrée sur l’être humain. La prévention, la lutte contre les causes profondes des conflits, le développement humain, les droits humains et la santé publique font partie des nombreux éléments inclus dans le concept de sécurité humaine, promu par QCEA.

C’est pourquoi ce sont la solidarité et la coopération que l’on observe au niveau local et communautaire dans le monde qui nous inspirent et donnent de l’espoir. Il s’agit de consolidation de la paix au niveau le plus élémentaire, en renforçant la cohésion sociale. Ces initiatives solidaires incluent des personnes proposants de faire les courses pour des personnes vulnérables, des restaurants étoilés qui cuisinent pour les sans-abris ou encore des voisins aidant le personnel soignant en cuisinant pour eux ou en gardant leur enfants. Ce sont juste ici quelques exemples de solidarité, mais ils peuvent nous aider à redéfinir nos relations avec les gens autour de nous - à renforcer la société - et espérons que ce sera cela l’héritage du Covid-19.
Nombreuses sont les personnes qui se montrent prêtes à aborder la suite. Inviter à redéfinir notre système peut s’avérer compliqué, puisqu’il n’est pas facile d’imaginer un nouveau monde, mais surtout parce qu’en temps de crise nous avons tendance à souhaiter un retour à la ‘normalité’, ou à une version utopique de cette normalité. Certains scenarios post-Covid-19 re-définissent totallement notre monde, et un tel changement peut faire peur. Néanmoins ce ‘brainstorming’ mondial est assez positif. Une réflexion mondiale sur la manière dont les personnes et les organisations peuvent mieux protéger l’environnement, lutter contre le changement climatique et vivre plus pacifiquement a commencé. J’espère que les gouvernements suivront cette vague d’auto-réflexion et ne vont pas recommencer à agir comme si de rien n’était. Cela serait pour moi un vrai signe de la résilience humaine et de la capacité de notre espèce à apprendre et à évoluer.

 

Le Quaker Council for European Affairs (QCEA) est une ONG basée à Bruxelles qui entend promouvoir les valeurs de paix, égalité et justice auprès de l’Union Européen et de ses institutions. Grâce à ses programmes consolidation de la paix et droits humains, QCEA plaide en faveur d’une approche non-violente de résolution des conflits, de l’égalité intrinsèque de toutes les personnes partout dans le monde et d’un mode de vie durable pour tous.

 

Cet article écrit par Clémence Buchet est disponible en anglais ici: https://qceablog.wordpress.com/2020/04/08/why-using-the-language-of-war-is-counterproductive-in-our-global-public-health-crisis-some-reflections-from-self-isolation/

1. https://edition.cnn.com/2020/03/29/politics/donald-trump-wartime-commander/index.html
2. 
https://www.ilfattoquotidiano.it/2020/03/17/coronavirus-la-diretta-i-contagi-sono-31-506-le-vittime-2-503-il-commissario-arcuri-attrezzarci-per-economia-di-guerra-mattarella-clima-di-difficolta-cittadini-siano-uniti-intorn/5739109/
3. https://foreignpolicy.com/2020/03/20/you-cant-do-social-distancing-if-youre-a-refugee/
4. https://www.international-alert.org/blogs/covid-19-building-more-peaceful-world-global-crisis
5. https://news.un.org/en/story/2020/03/1060602
6. https://www.iiss.org/blogs/military-balance/2020/02/global-defence-spending
7.https://nonukes.be/fr/prioriteit/

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